A L'ABORDAGE
Réflexions sur la piraterie à diverses époques

Pour tenter de résoudre une perpétuelle insécurité, des personnages importants ont pensé qu'il fallait mieux canaliser les ardeurs belliqueuses et très souvent désastreuses de bandes d'individus sans foi ni loi, qui faisaient régner la terreur dans toutes les régions.

Sur terre, on embrigadait dans des légions les gueux, les brigands et les prisonniers de n'importe quelles origines. Des Perses aux Grecs, des Egyptiens aux Romains, des Gaulois aux Francs, ces hommes devenaient des mercenaires spécialisés au maniement des armes. Ils étaient militarisés, disciplinés, ils étaient des machines aux services d'un roi, d'un seigneur, d'un religieux. Ceux-ci payaient, faisaient miroiter l'abondance des richesses se trouvant dans les pays conquis; ils endoctrinaient.

Le droit aux pillages était d'une durée réglementée après la bataille[1], le droit de tuer était couvert par la légitimité de l'engagement, le droit de viol, le droit d'avoir un esclave, mais en échange ils avaient le devoir de se battre, de vaincre et de mourir si nécessaire, et les pires sévices, voire même la mort, attendaient celui qui bafouait ces règles.

De plus, les guerres et autres conflits étant monnaie courante ; il était plus simple d'accompagner cette racaille par un encadrement judicieux pour la juste cause.

Exemple, les croisades qui, drainant des malheureux croyants à la bonne parole des prêcheurs, ont aussi emmené avec elles un nombre incalculable de ces indésirables, au grand soulagement des pays chrétiens. Combattre au nom de Dieu devait apporter la rédemption de tous les péchés.

De même lors de la guerre de Cent Ans, la France expédia sous les ordres de son connétable, Bertrand Duglesclin (1320-1380), des grandes compagnies formées par des combattants qui n'avaient plus l'utilité d'être dans le pays, lors de trêves, mais nécessaires en Espagne. Des échanges se faisaient pour occuper la main d'oeuvre inexploitée. Sans toutefois anéantir les bandes armées, le contrôle se faisait tant bien que mal et la maréchaussée ou l'armée régulière tentait d'y mettre bon ordre.

Sur les mers se créa, avec l'évolution de la technique, le problème de la sauvegarde des côtes et des cargaisons transportées. Les navires tenaient mieux la vague, les hommes s'amarinaient et si quelques combats navals sont connus comme celui de Salamine (vers 480 av.J.C.) entre les Grecs et les Phéniciens, celui des Romains (58 av. J.C.) contre les Vénètes, ils ne furent pas légions durant l'Antiquité.

Il y eut, néanmoins, quelques expéditions qui furent entreprises par les mers.

Les Egyptiens, sous Pepi 1er au XXIVe siècle av.J.C., débarquèrent sur les côtes syriennes ; Ramses III (1198-1167 av.J.C.) lutta contre les Pount, habitants d'une vaste contrée s'étendant du Soudan aux Somalies actuelles.

La connaissance de la navigation, le tracé des pourtours des côtes, la solidité des galères, des trières et autres bateaux, des hommes de plus en plus hardis, ont fait naître un désir de découvrir ce qui se trouvait au-delà de l'horizon.

Du XIIe au VIIe siècle av.J.C., les Phéniciens ont imposé leur souveraineté en Méditerranée puis au-delà du détroit de Gibraltar, en s'aventurant jusqu'en Armorique et en Cornouaille pour y chercher de l'étain.

Des légendes, des odyssées sont nées dans les esprits de Solon (640-558 av.J.C.) qui rapporta de ses voyages en Egypte l'existence et la disparition brutale d'une grande terre ; de Platon, l'Athénien narrant à  Socrate la fin de ce monde se trouvant au-delà des colonnes d'Hercule[2], de Homere, de Virgile, d'Herodote[3], de récits historiques avec Jules César,dans La guerre des Gaules, de divers écrivains et philosophes de ces temps anciens.

Les mers sont devenues des liens commerciaux entre les pays et la cupidité des hommes a vu combien il était tentant de s'emparer de toutes les richesses entreposées dans les cales des navires. Le pirate, venant du nom grec peiratès signifiant celui qui tente fortune sur mer, est apparu.

Du delta du Nil à Byblos, de Carthage à Athènes, de Rome à Antioche, la mer Méditerranée fut le théâtre de nombreux drames ; des faits identiques se produisirent au large de l'Inde, en mer de Chine et tous les pays bordés par les eaux tentèrent de se sécuriser avec des navires armés pour le combat et de renforcer leurs défenses terrestres. Les îles ioniennes, la Sicile, la Sardaigne et les côtes escarpées du littoral ont offert des refuges discrets, et certains ports africains de la Méditerranée servirent complaisamment d'abris et de bases de ravitaillement aux navires des pirates lorsqu'ils ne pouvaient pas s'approvisionner dans les zones de leurs forfaitures.

Après la période que nous désignons comme l'Antiquité, nous voyons apparaître des flottes organisées pour le pillage du littoral. Les Vikings et leurs drakkars, (du VIIIe au XIe siècle), pillèrent et colonisèrent de nombreuses cités d'Europe et auraient été aux Amériques en l'an 985 ap.J.C. ; les Barbaresques vinrent jusqu'en Bretagne où les troupes de Charlemagne durent intervenir à l'appel du comte Wido (786)[4]

Il n'y avait pas de règles établies. Le plus fort attaquait. Peu importe les trêves terrestres, ces hommes ne s'inquiétaient pas puisqu'ils savaient que la mort ou les galères, en cas de capture, étaient le châtiment assuré.

Comme sur terre, il s'institua un dispositif protégeant les victimes de ces débordements maritimes incontrôlés en créant des devoirs et des droits pour ces écumeurs des océans.

On vit donc apparaître, vers le XIe siècle, le nom de corsaire[5](banalisé vers 1313) et la lettre de marque (25 mai 1206) qui garantissait l'impunité aux capitaines et aux équipages, pour la capture de navires d'un pays ennemi.

Cette réglementation n'était pas sans arrière pensée. Tous les Etats encouragèrent les villes à  caractères maritimes[6].

Un arrêt de Charles V (1373) légalisa la distribution financière des prises; Charles VI (17 novembre 1400) donna un statut définitif aux coureurs des mers[7].

De plus, les hommes amarinés se trouvaient à  la merci d'un enrôlement obligatoire dans l'année sur des vaisseaux du Roy ou plus lorsque celui-ci le jugeait utile.

La première charte connue aurait été donnée au Sieur Eustache Le Moine, né sur le sol de France[8], fils d'un seigneur du Boulonnais, qui se mit au service du roi d'Angleterre Jean sans Terre (1167-1216), suite à  une prise de position contraire à  celle du roi de France, Philippe Auguste (1165-1223).

Durant la guerre de Cent Ans (1337-1453) la course - ainsi est nommée dès lors cette piraterie légalisée - devint la force maritime principale de la France, surtout après la défaite de l'Ecluse (24 juin 1340).

L'embarquement se fit plus aisément au vu des avantages que pouvait garantir cette protection.

Il faut que le navire ait son équipage. De l'appel d'offres avec des primes alléchantes, des débauchages d'équipage amenant, parfois, des conflits entre les capitaines[9], des voyous et assassins voulant échapper à  la justice jusqu'aux gueux qui n'avaient plus rien à  perdre, tout ce petit monde fait de bric et de broc s'amarinait tant bien que mal à  une vie rude que certains désertaient à l'arrivée au port.

Il fallait donc renforcer à  nouveau les bordées avant l'appareillage et le capitaine n'hésitait pas à  recruter des hommes par une beuverie, dans les tavernes des quais. Le dégrisement se faisait en plein océan. Ils n'avaient plus le choix que de travailler à  l'entretien, à  la manoeuvre du navire et à combattre.

Le capitaine pouvait être le propriétaire du navire et courir pour son propre compte sans toutefois oublier de verser des droits aux autorités portuaires pour le trésor de l'Etat. Il armait à  ses risques et périls tout comme le particulier armateur. Celui-ci louait le service de ces hommes qui avaient une connaissance de la navigation.

Durant plusieurs siècles, des individus se distinguèrent et firent leurs fortunes dans ce genre d'activités. Les villes du littoral s'équipèrent de véritables flottes et se livrèrent à  des conflits privés.

Les récits de ces faits d'armes maritimes ont alimenté une oeuvre littéraire abondante où la réalité côtoie la légende. Le nom de certains capitaines corsaires, flibustiers ou pirates est connu. Il se dessina autour d'eux une auréole qui voudrait sublimer ces hommes mais qui, si cette charte de légitimité n'avait pas existé, ne seraient jamais que des parias des océans.

Cela n'enlève rien au courage du combat à  l'abordage, de la prise d'une ville mais combien ont commis des crimes, des tueries pour des raisons mercantiles. Le profit était souvent à  la base de nombreux délits et la piraterie en est un exemple.

De l'Olonois (Jean Baptiste Nau, 1630-1671, né aux Sables d'Olonne) qui est connu pour sa cruauté à Henry Morgan (Gallois, 1637-1690), dévastateur de nombreux ports au Mexique (Gibraltar) et Panama (Mata, Puerto Bello, Panama), anobli par le roi Charles II d'Angleterre pour services rendus à  la couronne, en passant par Monbars le Gascon, chasseur d'Espagnols et Grammont le libertin, ces hommes, malgré les forfaits épouvantables perpétués avaient un code d'honneur[10] et s'ils se disaient indépendants et prétendaient ne servir aucun maître, ils n'hésitaient pas à  combattre, pour une cause pécuniaire offerte par un Etat.

Louis XIV, en 1697, les enrôla sous les ordres du baron de Pointis, vice amiral, pour détruite Carthagène en Colombie.

Quant aux corsaires, s'ils étaient tenus par des engagements envers les signataires de cette lettre de marque, ils savaient profiter des occasions lors de prises des navires ennemis pour ne restituer que la part minimale due à l'Etat ou aux commanditaires.

La guerre étant la seule source de profits avantageux, les trêves les laissaient souvent livrés à  eux même, si ce n'est que faire du commerce.

On vit apparaître des dérives dans le comportement de ces pirates légalisés, dans des faits de piraterie, bien sûr mais aussi dans le transport du bois d'ébène[11]

Ils n'ont pas hésité à se louer pour naviguer sur un navire négrier et même, certains capitaines, à armer pour leur propre compte.

Des fortunes se sont constituées par ce commerce triangulaire Europe/Afrique/Ameriques. La complicité de certains rois nègres a été nécessaire pour alimenter en esclaves les navires en partance pour le Nouveau monde, la main d'oeuvre faisant défaut.

L'abolition de ce commerce fut décrétée, le 04 février 1794 par la Convention. Certains corsaires et armateurs de toutes origines, de toutes conceptions idéologiques n'ont pas hésité à  braver l'interdiction. Le Premier Consul Bonaparte rétablit cette pratique le 20 mai 1802, pour l'économie de marché sur une demande des colons des îles des Caraîbes et des Mascareignes.

Une nouvelle tentative de condamnation de la traite des Noirs est adoptée en France le 22 février 1831 mais celle-ci aurait perduré, toujours pour cause économique, jusqu'en 1848 lorsque Victor Schoelcher (1804/1893),franc-maçon, devenu sous-secrétaire d'Etat aux Colonies, rédige le 27 avril 1848, le décret de l'abolition de l'esclavage. Il y eut cependant quelques soubresauts entre 1856 et 1861 pour cause de désertions dans les plantations.

Ces épopées maritimes ont pratiquement disparu. Les abordages aux sabres, haches et pistolets ne sont plus que du folklore cinématographique car l'amélioration des navires et des armements permettent un combat de plus en plus éloigné.

Si les lettres de marque n'existent plus, il reste cependant de ces pratiques, puisque nous avons su nommer corsaires, durant les guerres du XXe siècle, certains bâtiments armés. Ils naviguaient en solitaire sous les auspices de certains Etats en conflits, n'hésitant pas à  piller puis couler des paquebots et navires marchands inoffensifs.

Nous avons les exemples de sous-marins allemands qui coulèrent le 7 mai 1915 le transatlantique anglais Lusitania (1200 victimes), du croiseur Koenigsberg qui pilla et coula le paquebot City of Winchester, puis le navire de guerre anglais Pegasus> au large d'Aden. Il fut pourchassé et envoyé par le fond le 11 juillet 1915[12]

En 1942, la bataille de l'Atlantique a donné à  la marine allemande la maîtrise, pour un temps, de l'Atlantique, en détruisant un nombre impressionnant de navires alliés, tant de guerre que de commerce[13].

Les sous-marins U-Boot et les raiders, bâtiments armés naviguant sous des couleurs neutres selon les circonstances, ont agi, sous les ordres de l'amiral Doenitz, comme de véritables corsaires, à  la limite de la piraterie.

Le 4 septembre 1941, avant l'entrée en guerre officielle des Etats-Unis d'Amérique, le destroyer Greer, chargé d'escorter un convoi britannique, est attaqué par le U-652. Riposte immédiate et le 31 octobre 1941, le président américain Franklin Roosevelt fit armer tous ses navires pour une défense si nécessaire.

Ce qui existe toujours, ce sont les actes de piraterie. Les Etats ne se sentent pas concernés, et encore moins les armateurs. Les navires sont de plus en plus gros et avec de moins en moins d'hommes à  bord pour les manoeuvres, pour l'entretien et pour la surveillance.

Nous voyons régulièrement des abordages, des délits de fuite, des dégazages sauvages. Toute cette façon d'agir est aussi à  mettre au compte d'un autre genre de piraterie. Tout cela est fait pour le profit sans tenir compte de l'humain. On embarque des pauvres bougres cherchant à  fuir la misère mais sans les avertir qu'ils trouveront peut-être une autre dangerosité dans ce travail de marins.

L'état-major et le personnel d'exécution sont à  la merci de véritables bandits des mers ,sévissant dans des zones où le repli est aisé, où les autorités maritimes ne sont pas très regardantes quant aux agissements de ces pirates.

Si le pavillon à  tête de mort n'est plus hissé au grand mât, les forfaits se font avec des vedettes plus rapides que celles des polices, les armes sont plus performantes, les hommes sont plus déterminés. Là  aussi, ils n'ont rien à  perdre sinon leur vie.

Du détroit de Malacca aux Philippines en passant par l'Indonésie, aux approches du golfe d'Aden à  la corne d'Afrique, dans le golfe de Guinée, combien de navires ont été pris à  l'abordage, souvent de nuit, par manque de veille ?

Le Far Trade battant pavillon panaméen, avec 17 hommes à  bord au large de la Malaisie[14]; le Baltimar Zephir, pavillon des Bahamas, le capitaine et son second sont abattus d'une balle dans la tête[15]; un pétrolier de 240000 tonnes,armateur à  Hong Kong, pavillon panaméen, venant du golfe Persique avec du brut, a parcouru plusieurs milles à  16 noeuds sans personne en veille à  l'entrée du détroit de Philips (Singapour)[16]. Tous les marins avaient été ligotés par des pirates ; un cargo allemand dans le golfe de Guinée, dont le capitaine fut exécuté pour s'être révolté ; l'arraisonnement du cargo Rozen et la prise en otage des 12 hommes d'équipage, etc...[17]

La France n'est pas convaincue de la nécessité d'une police internationale de la mer et pourtant elle connaît les risques de pollution et d'accidents, étant confrontée journellement à  ces agressions.




[1] Après un temps déterminé par le chef de guerre, tout ce qui n'avait pas été pris par la soldatesque était destiné au roi ou au seigneur.

[2] L'Atlantide aurait disparu lors du déluge décrit par toutes les civilisations (5000 ans av. J.C.)

[3] Théra, aussi nommé Santorin, serait pour lui l'Atlantide. Elle provoqua la ruine de la Crète en 1500 av. J.C. Lors d'une éruption volcanique.

[4] Wido est le successeur du marquis de la Marche, Roland, mort huit ans plus tôt à  Ronceveaux, le 15 août 778.

[5] Le nom de corsaire apparaît cependant lors du 7ème et dernier voyage de Sindbad le marin.

[6] Les plus connues furent Pise, Venise, Florence, Gènes et Marseille en Méditerranée ; Anvers en mer du Nord. Calais, Boulogne et Saint-Malo en Manche ; Nantes, Bordeaux, Lisbonne et Cadix en façade atlantique.

[7] Surcouf contre les commissaires de l'administration douanière à  l'île de France (île Maurice).

[8] Mort le 24 ou 25 août 1217, la tête tranchée par la bâtard Jean sans Terre, Richard.

[9] Surcouf le Malouin et Dutertre le Lorientais.

[10] MERRIEN Jean, Corsaires et flibustiers.

[11] ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers; PETRE-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps de la traite des Noirs; MABIRE Jean, La traite des noirs.

[12] Extrait de Traversées épiques de Paul CHACK, recueillis par Marcel BERGER.

[13] 41 navires coulés en septembre 1938, 471 en 1940 (voir dans les Dossiers secrets de l'Histoire, n°4, de septembre 1997 par Jérôme LOISEAU.

[14] Bulletins des gens de mer, Fédération internationale des ouvriers du Transport.

[15] Ce cargo était affrété par les Nations Unies pour le programme alimentaire mondial.

[16] Dans un rapport fait à  l'iTF, il est mentionné que ces actes seraient dus à  certains militaires qui se changeraient en pirates masqués la nuit. Cela reste à  prouver mais n'est pas impossible puisque très rares sont ceux qui se font prendre.

[17] Le Télégramme de Brest, 26 février 2007.