Les premières Loges Françaises en Californie

Dans le Volume II de nos Travaux, paru en mars 2006, vous avez pu lire la surprenante aventure du capitaine baleinier français Le Tellier, fondateur de la loge Le Progrès de l'Océanie à Hawaï.
L'auteur de cette communication nous apporte d'autres précisions dont nous vous proposons ici la traduction de l'anglais, avec son autorisation.
Le texte original en est paru sous le titre Le Progrès de l'Océanie, the first Lodge in Hawaii (Institute for Masonic Studies in cooperation with the Northern California Research Lodge, Grand Lodge of California, 377 pages, en 2001).
"En ce qui concerne les toutes premières loges françaises de l'état de Californie, j'aimerais me référer à une intéressante brochure publiée en français vers 1970 par la loge La Parfaite Union n°17 de San Francisco. On y trouve une brève histoire de cette loge sous la plume du Frère Henri Mottet en 1951, lors du 100ème anniversaire de l'intégration de la loge au sein de la Grande Loge de Californie.
La première véritable allusion à cette loge apparaît en 1851 dans la planche tracée de la toute nouvelle Grande Loge de Californie, et dit laconiquement que la loge La Parfaite Union n'a pas envoyé son rapport annuel.
Dans une étude publiée en 1885 par le Frère Daniel Lévy, qui fut Vénérable de La Parfaite Union en 1885 puis à nouveau en 1888, l'auteur, présentant l'histoire des premières loges de Californie, dit que la loge La Parfaite Union n°17 fut formellement fondée sous Constitution de la Grande Loge de Californie le 7 juin 1851, tout en ajoutant que la loge doit avoir existé avant cette date, même sans patente en bonne et due forme.
Selon le Frère H. Mottet, une raison valable pour une telle affirmation est que la Grande Loge de Californie avait insisté, dès ses origines, pour que toutes les nouvelles loges utilisent exclusivement le Rite d'York en loge bleue. L'exception faite pour La Parfaite Union en 1851 de pratiquer le Rite écossais Ancien et Accepté, ne peut donc se concevoir que si la loge avait déjà travaillé à ce Rite à San Francisco plusieurs années avant la Constitution de la Grande Loge de Californie.
Je dois reconnaître la logique absolue de l'argument!
Le Frère Mottet poursuit son argumentation et établit un lien entre la loge La Parfaite Union de San Francisco et la loge Le Progrès de l'Océanie à Honolulu, ajoutant que le capitaine Le Tellier était probablement aussi le fondateur de la loge de San Francisco. C'était toutefois aller trop loin !
J'ai étudié le sujet au cours des dix dernières années et je dois rejeter cette hypothèse pour plusieurs raisons que voici :

Les plus anciennes archives de la Grande Loge de Californie ont été entièrement détruites lors du terrible tremblement de terre de 1906 à San Francisco, mais même en 1885, si nous lisons le livre du Frère Lévy, il apparaît que les membres de la loge La Parfaite Union eux-mêmes avaient malheureusement perdu toute trace de l'origine de leur loge et en étaient réduits à des conjectures...
D'un autre côté, il est certain que les communications maritimes entre San Francisco et Honolulu étaient très développées dans les années 1840 du fait du courant permanent d'immigrés et d'hommes d'affaires de la côte Ouest des Etats-Unis jusqu'aux îles Sandwich, nom d'Hawaï à l'époque.
La loge française d'Hawaï fut constituée en 1843 mais il existe des traces de Tenues, certaines même à bord de l'Ajax, à partir de 1841.
On ne peut donc pas exclure la possibilité qu'un certain nombre de maçons français qui étaient installés à San Francisco dans les années 1840, qu'ils aient des liens maçonniques avec Honolulu ou non, ont décidé de créer une loge maçonnique de leur propre initiative, sans se préoccuper d'avoir une patente de constitution, envisageant de régulariser leur situation administrative plus tard.
Cette pratique de loges auto constituées peut sembler très irrégulière de nos jours ; il en est ainsi en effet selon nos règles actuelles. Nous devons cependant savoir que cette façon de créer des loges a été constatée et acceptée à de multiples reprises au cours du 18ème siècle et dans la première moitié du 19ème particulièrement dans des pays éloignés, comme le résultat des conditions de vie difficiles dans ces territoires, où les contacts avec les autorités maçonniques situées de l'autre côté du monde étaient plus ou moins inexistants et souvent impossible en pratique.
C'était l'époque des pionniers, des fusils, des chariots à chevaux et des navires à voile. Il n'y avait ni Internet, ni avions à réaction, ni électricité, ni Code maçonnique californien et ses 4000 articles !
Mais voici le dernier développement de cette très intéressante histoire : en novembre 2005, la société William Reese de New Haven dans le Connecticut a mis en vente le certificat manuscrit d'initiation du Frère William Heath Davis qui avait été admis le 2 mai 1843 dans la loge Le Progrès de l'Océanie à Honolulu (Catalogue 244, Western Americana, Section III: Harding to Lea, item no59).
Le Frère William Heath Davis (1822-1909) fut l'un des plus célèbres commerçants et pionniers des débuts de la Californie. Il était né à Honolulu et son grand père maternel fut gouverneur d'Oahu sous le règne du roi Kamehameha I et sa grand-mère était une princesse hawaïenne.
De plus, son arrière grand père, William Heath, était général pendant la guerre d'Indépendance et son autre grand père, originaire de Boston, était soldat au cours de la même guerre. Davis s'établit dans le commerce entre Hawaï et la Californie à un très jeune âge, s'installa à San Francisco (qu'on appelait alors Yerba Buena) en 1839, aidant son oncle à gérer son magasin en ville et s'occupant aussi de conseiller des colons potentiels à s'installer dans l'arrière-pays sauvage californien.
En 1839, il emmena John Sutter et ses hommes vers un site près de Sacramento, qui devint le Fort Sutter. Enfin il diversifia ses activités et devint l'un des plus riches Californiens. En 1850 il participa à la fondation de San Diego. La déroute financière de l'entreprise et un incendie désastreux à San Francisco le ruinèrent en grande partie.
Outre sa qualité d'un des premiers membres de la loge Le Progrès de l'Océanie à Honolulu, le Frère William Heath Davis est connu pour s'être affilié ultérieurement à la California Lodge n°1, fondée à San Francisco en 1849.
Enfin, à quiconque désire étudier sérieusement l'histoire des loges françaises aux Etats-Unis, je ne peux que recommander chaudement de se procurer une copie d'un travail de recherche peu connu mais fondamental, dont le titre est Francs-maçons des loges françaises aux Amériques, 1750-1850 d'Elisabeth Escalle et Mariel Gouyon-Guillaume, édité à compte d'auteur en 1993, 865 pages A4 tapuscrites.
Ce travail incroyable contient la liste alphabétique de milliers de francs-maçons français aux Amériques (Guadeloupe, Martinique, Saint-Domingue, Cuba, Jamaïque, Grenade, Porto Rico, Sainte Lucie, Guyane et USA), basée sur le dépouillement systématique des archives du Fonds maçonnique au Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris avec pour chaque entrée la cote d'archives. C'est une source exceptionnelle pour toute étude plus approfondie.
Des listes détaillées des membres des loges françaises suivantes, d'avant 1850 aux Etats-Unis, existent pour L'Union Française (New York), Les Amis Réunis et L'étoile Polaire (La Nouvelle Orléans), Candeur et Amitié (Philadelphie), La Sagesse (Portsmouth), La Constance et L'Espérance (Savannah).
Cette liste n'est pas complète car elle n'est basée que sur les archives de la Bibliothèque Nationale. Vous remarquerez toutefois qu'il n'y a rien sur la Californie..."