Un marin hors du commun : le Commodore John Paul Jones (1747-1792),
Père de la Marine Continentale

John Paul embarqua comme mousse à l'âge de douze ans sur le Friendship. Enthousiasmé par le voyage, il devint troisième lieutenant sur le King Georges puis sur le Two Friends, deux navires qui se consacraient au transport des esclaves entre la Côte d'Afrique et la Virginie. John fut rapidement écoeuré de ce trafic honteux mais il acquit ainsi une expérience considérable au point qu'en 1769, il se vit confier le commandement du John, en ligne sur les Antilles, à la suite du décès en mer du capitaine et de son second.

L'escale à Tobago fut dramatique. Voulant s'interposer dans une rixe entre matelots, John blessa gravement l'un d'eux, Mungo Maxwell, qui décéda peu de temps après. Sa réputation d'homme violent était faite ; il rentra en Amérique et, à Fredericksburg, rencontra le secrétaire à la Marine, qui lui suggéra de changer de nom. C'est ainsi que John Paul devint John Paul Jones... Grâce à ce stratagème il échappa à la cour martiale puis se fit discret au point qu'on perd sa trace jusqu'en en 1776 - année où il sollicita du Congrès américain un embarquement comme capitaine corsaire dans la flotte des Insurgents. Il a trente ans et le voici bientôt, le 14 juin 1777, commandant du Ranger après avoir fait la preuve de ses talents nautiques sur divers petits navires. La veille, La Fayette était arrivé en Amérique.

Le jeune capitaine ira alors de succès en succès. Sa mission est claire: rejoindre la France au plus tôt et monter à Paris pour informer Benjamin Franklin de la victoire des Insurgents à Saratoga. En route, John Paul s'empare de deux bricks anglais et arrive sain et sauf à Paimbeuf le 2 décembre. Il se plaît en France, mais s'y ennuie. Le 21 septembre John demande au duc d'Orléans de lui donner un commandement. Sans réponse, il écrit au roi! Louis XVI le convoque le 17 décembre et lui donne le Duras, un ancien navire de 40 canons de la Compagnie des Indes. John saisit l'occasion et demande au souverain l'autorisation de rebaptiser le navire Bonhomme Richard, du nom de la revue (Poor Richard Almanach) publiée par Benjamin Franklin à Philadelphie.

Les événements se précipitent: John reçoit l'ordre de rejoindre Lorient au plus vite pour y préparer le convoyage de troupes vers l'Amérique. Le 19 juin il appareille à bord du Bonhomme Richard. Quelques navires de commerce profitent du convoi. A peine sortis du port breton, les escarmouches contre les Anglais se multiplient au point que Jones doit mettre sa petite escadre à l'abri sous l'île de Groix pour y réparer.

Nous passerons sur le combat naval qui fit la gloire de John Paul Jones contre le Serapis en mer du Nord, le 23 septembre; le combat qui se termina par la perte du Bonhomme Richard, est connu. La victoire est indiscutable mais John, dont le caractère devient impossible, rencontre des difficultés de tout ordre, en particulier avec son ancien second Peter Landais, escroc notoire à la santé mentale fragile.

La guerre d'Indépendance des Etats-Unis se termine par le Traité de Versailles du 3 septembre 1783. Hormis une courte campagne le long des côtes vénézuéliennes avec l'escadre française de Vaudreuil, John Paul n'aura plus d'activités navales depuis son retour sur le sol natal. L'oisiveté lui pèse. Pour joindre l'utile à l'agréable, il sollicite du Congrès un poste de ministre plénipotentiaire à Paris où il arrive le 6 décembre. Jones va alors dicter à un secrétaire son Journal de campagne qu'il a l'intention de faire éditer et d'offrir à Louis XVI dans l'espoir d'obtenir du roi un commandement dans la marine française, mais le projet échouera et le texte ne sera publié aux Etats-Unis qu'au début du siècle suivant pour tomber rapidement dans l'oubli, tant son auteur avait pris de libertés avec l'histoire, s'attribuant a posteriori d'innombrables initiatives qui eussent pu hâter favorablement le déroulement de la guerre, la victoire des Insurgents et la déroute des Anglais par sa seule action! Fort heureusement une version plus historique des véritables exploits de John Paul Jones - en particulier le combat naval contre le Serapis - figurent en bonne place dans le fonds Marine de nos Archives nationales.

A l'été 1787 le voici de retour à Paris, cette fois avec un projet précis en tête: le gouvernement russe, alors en guerre contre les Turcs, cherche un commandant en chef pour ses escadres de la Mer Noire. C'est la grande Catherine II elle-même qui le requiert; l'impératrice a entendu parler des hauts faits du corsaire qui vient d'être promu capitaine de vaisseau. Le 18 avril 1788 Jones donne son accord. Il est aussitôt nommé major général et contre-amiral - titre qu'il a mis comme condition à son accord - et commandant en chef des armées navales russes; il arrive à Saint-Petersburg quelques jours plus tard. Le 26 mai il met sa marque sur le Vladimir mais des conflits de personnes vont envenimer la situation.

Il eut mieux fait de demeurer en France. Non seulement il ne brillera pas en Russie, mais ses quelques victoires sur la flotte turque (17 juin 1788) seront attribuées à d'autres. Il a cessé de plaire et se verra retirer son titre en octobre. Après deux années passées au service de la Russie, il rentre en France épuisé et malade, écoeuré par les intrigues dont il avait été victime, pour y trouver les premières convulsions révolutionnaires. L'amertume dès lors ne quittera plus John Paul Jones. A quarante-trois ans, il s'enfonce dans une solitude quasi-névrotique, ne cherche plus à revoir ses compagnons d'antan comme d'Estaing ou La Fayette, pris dans la tourmente.

En juin 1792 le général Washington, seul à se souvenir de lui, lui confère enfin la nationalité américaine et le nomme consul des Etats-Unis à Alger avec mission de combattre les pirates barbaresques qui s'emparent des navires marchands américains et réclament deux mille dollars de rançon par prisonnier. Mais quand le messager arrive à Paris le 18 juillet, John Paul Jones vient de mourir, victime d'une crise foudroyante d'hydropisie. Deux jours plus tard il fut inhumé au cimetière protestant de Paris, près de l'hôpital Saint-Louis, dans un cercueil de plomb. Une délégation de douze membres de l'Assemblée nationale, deux ou trois attachés d'ambassade accompagnaient le père de la marine américaine jusqu'à sa sépulture provisoire. Paris qui l'avait encensé, l'oublia rapidement.

Le 8 avril 1905, cent treize ans après sa mort, le corps de John fut exhumé et, à la surprise générale, trouvé bien conservé. Une autopsie permit de comparer le visage au buste sculpté par Houdon et de confirmer ainsi l'identité du héros de l'indépendance américaine, dont les restes furent remis à l'ambassade américaine puis envoyés aux Etats-Unis où ils reposent aujourd'hui dans la chapelle de l'Académie navale d'Annapolis en Maryland, l'équivalent de notre Ecole navale. L'éloge funèbre avait été fait par le président Théodore Roosevelt en personne.

John Paul Jones, initié en Ecosse, était membre de la loge des Neuf Soeurs.

John Paul Jones